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Chez les amis
Hygeia
--> La cité de la santé
De toutes les utopies, la moins curieuse n'est certes pas celle de la santé absolue. Dans notre monde occidental vieillissant - dont l'opulence deviendra peut-être aussi meurtrière que la pauvreté dans d'autres parties du globe - la santé n'est plus un luxe, c'est un droit.

La mort est refoulée, la cérémonie réduite à une simple crémation. Non, l'ennemi le plus visible et le plus craint, de nos jours, c'est la maladie. Cette crainte est à l'origine du droit à une mort digne que la Belgique vient d'ailleurs de ratifier.

Mais au XIXe siècle, la maladie était encore bien présente et la paupérisation des banlieues, avec ses conditions dramatiques de travail et de logement, favorisait la propagation des épidémies les plus mortelles : tuberculose, variole, etc. Autant de maladies qui n'affectent plus que quelques poches de pauvreté (pour combien de temps ?) au sein de notre société d'abondance.

Pour Benjamin Ward Richardson, médecin et philanthrope anglais, ces maladies pouvaient être éradiquées en respectant quelques principes qu'il énonce dans sa vision utopique de " cité de la santé ". Dédié à Edwin Chadwick, peut-être le plus connu des médecins de l'Angleterre victorienne, ce petit opuscule décrit la cité idéale pour la santé de ses habitants.

Dans un curieux mélange de prophylaxie, d'urbanisme et de morale victorienne, Richardson nous dépeint une cité composée de maisons basses (pas plus de quatre étages ou 18 mètres) disséminées autour de larges avenues perpendiculaires. Pas de cave, seul le métro est souterrain. Les fumées de foyers sont concentrées dans un brûleur qui ne rejette pratiquement pas de carbone. Les cuisines sont à l'étage afin de récolter un maximum d'air et de lumière. L'auteur accorde une attention particulière à la chambre à coucher dans laquelle chaque dormeur doit bénéficier d'au moins 34 mètres cubes d'air...

L'alcool y est prohibé et " chaque homme pris en état d'ébriété serait si écarté par la communauté qu'il n'aurait aucune envie d'y demeurer. " Le tabac n'y existerait pas davantage car il ravale l'homme civilisé au rang du sauvage.

L'artisanat ne se pratiquerait plus à domicile, au sein du milieu familial, mais dans des ateliers loués par les autorités à un loyer modéré. Seules les activités propres et non-bruyantes sont acceptées en ville, les usines polluantes étant rejetées à l'écart.

La ville compte 100.000 habitants et un hôpital pour 5.000. Ces hôpitaux, ne sont pas des bâtiments énormes comptant des centaines de lit, ni des structures permanentes, mais bien des assemblages démontables qui, en cas d'infection, seront démontés, traités et remis en place... Chaque hôpital contient 24 chambres, 12 pour les hommes et 12 pour les femmes. Les médecins et le personnel habitent dans l'enceinte de l'immeuble. On compte un médecin pour 6 malades et une infirmière pour 12. Des crèches accueillent les enfants et des asiles de petites dimensions abritent les déments car dans une telle cité, il serait " étonnant qu'il y ait beaucoup de cas de folie ".

Les pauvres incapables de travailler bénéficient de logements gratuits, indiscernables des habitations communes, tandis que ceux en état de travailler sont assignés à des tâches d'intérêt public. En cas de refus ou de vagabondage, ils trouvent refuge... en prison.

La ville regorge d'activités récréatives : piscines, bains turcs, plaines de jeux, gymnases, bibliothèques et autres " divertissements instructifs ".

Un " agent sanitaire principal " dirige le corps médical de la ville, divisée en districts, chacun comptant également son agent sanitaire. L'eau et le gaz sont sous contrôle exclusif des autorités locales. Ils sont vérifiés deux fois par jour.

Les morts sont enterrés, car on n'est pas encore sûr que la crémation offre toutes les garanties d'hygiène désirées (nous sommes au XIXe siècle), le corps ne se décomposant pas, le cycle naturel est artificiellement interrompu et, surtout, les gens préfèrent reposer six pieds sous terre... Mais le cimetière n'est pas pour autant un lieu de repos traditionnel. C'est un terrain à la riche terre carbonifère dans laquelle les corps sont déposés dans de simples paniers d'osier ou directement dans le sol. Celui-ci est planté d'arbres et une sorte de temple rend hommage aux personnes qui y sont ensevelies.

Quels sont les résultats que l'on peut attendre d'une telle organisation ?

D'abord certaines maladies, ne trouvant plus de terrain favorable, disparaîtraient d'elles-mêmes ou causeraient une très faible mortalité. Bien sûr toutes les maladies ne disparaîtraient pas, mais un taux de mortalité maximal de 8 pour 1000 devrait être atteint lors de la première génération et comme on peut attendre que des parents sains aient des rejetons sains, ce taux serait voué à diminuer lors des générations suivantes.

Richardson est certain que " l'utopie est un autre nom du temps " et donc que cette cité verra le jour. Nous n'avons aucun mérite à savoir qu'il n'en est rien et que, si une partie de la population mondiale jouit d'un état de santé auquel il n'aurait pas osé rêver, d'autres croupissent toujours dans des environnements insalubres et pathogènes.

Nous savons à présent que l'hygiène totale, telle que préconisée par Richardson, libère le terrain pour de nouvelles formes de maladies et que la lutte pour la santé est un combat incessant. Son utopie est du type mécaniste : il n'y a qu'à mettre en œuvre les conditions matérielles pour que les conditions de la santé se mettent en place elles-mêmes. Des générations d'éducation à la santé plus tard, nous savons qu'il n'en est rien... Que l'éducation doit primer sur la santé, que l'une dépend en grande partie de l'autre.

La morale de Richardson est celle de son temps et de son milieu, l'Angleterre victorienne et ses " Poor Laws ", ces lois qui condamnent le vagabondage, l'oisiveté et confinent les pauvres dans des " poor houses " où ils sont voués à des travaux utiles. L'Angleterre d'aujourd'hui est-elle si différente ?

L'utopie de Richardson souffre du même mal que toutes les autres : elle est l'œuvre d'un individu qui ne représente... que lui-même et les intérêts de son milieu social. Alors que la société démocratique se nourrit du débat, de l'échange, des multiples interactions entre les groupes d'intérêts divergents. Ce n'est peut-être pas un régime idéal, mais c'est celui qui commet le moins d'injustice...



Le texte, en anglais seulement, est disponible sur le site du projet Gutenberg.
Ecrit par Marco-Bertolini, à 12:53 dans la rubrique "Humeurs".

Commentaires :

  ImpasseSud
11-06-04
à 14:58

Quel plaisir de te voir réapparaître Marco!

Richardson était-il un disciple de Jean-Jacques Rousseau? Son utopie ne tient pas compte des facettes opaques de l'être humain, telles que l'ambition, la soif du pouvoir et du gain.

Ce projet reflète sans doute l'époque victorienne, mais il me semble qu'on y retrouve une autre empreinte, tout à fait réelle celle-là. J'y vois le type d'évolution de la médecine de cette époque qui avait découvert le principe de la prévention. N'est-ce pas aux alentours de 1850 que le médecin autrichien Semmelweis fait chuter la mort des parturientes de 20 % rien qu'en demandant aux praticiens des salles de travail et salles de couches de se laver les mains avant chaque toucher?
Le XIXe siècle n'est-il pas celui où on est encore convaincu de l'efficacité absolue de toutes les solutions simples et radicales?

  Marco-Bertolini
11-06-04
à 18:13

Re:

Hello ,

Cela me fait plaisir aussi d'être de nouveau des vôtres !

En ce qui concerne la médecine préventive, c'est vrai que le XIXe siècle a fait des progrès spectaculaires. Semmelweis était en effet un grand médecin, méconnu de son vivant. Il était d'ailleurs le sujet de la thèse de doctorat du docteur Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline...

Edwin Chadwick, à qui le livre de Richardson est dédié, est lui aussi un grand médecin hygiéniste.

Deux choses me dérangent dans l'idéologie véhiculée par ce type d'ouvrage :

1. Le positivisme, voire l'utilitarisme (Chadwick était considéré comme le meilleur disciple de Jeremy Bentham et un ami de John Stuart Mill) de ces praticiens.

2. La volonté finalement totalitariste de ces constructions intellectuelles séduisantes que sont ces utopies : c'est la conception d'un seul qui doit s'imposer à tous.

C'est intéressant de voir les réalisations de certains philantrhopes du siècle dernier, comme Godin, en France par exemple. Sur base des idées de Fourier, il a construit dans la ville de Guise (et oui, celle du Duc ultra-catholique qui lors de la Saint-Barthélémy aurait dit : "massacrez-les tous, Dieu reconnâîtra les siens !")un bâtiment qui comprenait des appartements, une salle de spectacle, etc. pour ses ouvriers. Et cet ensemble a exatement la forme que Bentham voulait affecter à ses prisons : le panoptikon. Un bâtiment en forme de roue qui permet de contrôler à partir d'un moyeu central tout ce qui se passe autour. Comme quoi, rien n'est parfait en ce bas monde et qu'avec les meilleures intentions du monde, on peut provoquer des catastrophes.

Mais je te laisse, désolé pour cette (trop longue) réponse.

A bientôt,

Marco.



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