Il y a quelques jours, je vous livrais une adaptation française de l'enquête réalisée par l'observatoire indépendant des médias "FAIR" (Fairness & Accuracy In Reporting : cliquez ici pour lire ce texte).
Afin d'être fair-play moi-aussi, je vous propose le texte de la réponse que le président de NPR (National Public Radio) a adressé à FAIR.
"Web Extra (1) du 26 mai 2004 publie une enquête dans laquelle il prétend que NPR penche du côté droit de la politique si l'on s'en réfère aux personnes interviewées et aux commentateurs.
FAIR est un observatoire des médias (la traduction exacte de l'expression américaine est plutôt "chien de garde") qui se décrit lui-même comme "progressiste", c'est-à-dire de gauche.
L'étude analyse les interviews de NPR dans ses programmes d'information en juin 2003. L'étude examine également qui sont les experts invités à s'exprimer sur NPR pendant quatre mois, de mai à août de l'année 2003.
FAIR affirme que la radio a amorcé un sérieux virage à droite si on compare les résultats de cette étude avec ceux d'une enquête menée 10 ans plus tôt. FAIR prétend que ce sont des experts appartenant aux "élites" ou des leaders d'opinion qui qui commentent les évènements. Ce groupe de membres du gouvernement en place ou des anciens gouvernements représente 28 % des interviews ou des commentaires. 26 % étaient des "experts professionnels" (professeurs, membres de think tanks, avocats, professeurs d'université et scientifiques). 7 % étaient des journalistes, mais 83 % d'entre eux appartiennent à des médias privés commerciaux.
FAIR dit aussi que NPR s'est amélioré dans deux champs au regard de l'enquête d'il y a dix ans : NPR interviewe davantage de citoyens ordinaires qu'auparavant (31 % contre 17%).
Et, toujours selon FAIR, NPR a augmenté le nombre de ses commentateurs de couleurs de plus de 40 %. Il y a dix ans, plus de 85% des commentateurs de NPR étaient blancs et majoritairement des hommes.
Et même si on entend quelques femmes sur nos ondes, elles représentent toujours une minorité des voix qu'on entend sur NPR. De tous les interviewés, les femmes comptent pour 21 % contre 19 % il y a dix ans.
Fair joue fair play mais...
L'étude me paraît juste à quelques exceptions près.
Dans une étude similaire que j'ai commandée, nous avons examiné les interviews de NPR pendant deux mois, du 24 novembre 2003 au 23 janvier 2004. Il n'est peut-être pas fair-play de comparer les deux études puisqu'elles ont été réalisées à des moments différents.
Mais la méthodologie était similaire, les deux enquêtes retenant les noms des personnes interviewées et tentant de déterminer vers quelle orientation idéologique penchaient leurs opinions. Mais il y a aussi certaines différences entre les deux études.
Personnellement, j'aimerais discuter avec FAIR de ses a priori et de ses définition ce qui constitue une opinion "de droite".
Qu'est-ce que la droite pour vous ?
D'abord, les définitions. FAIR définit la "Brookings Institution" comme de centre-droit. Beaucoup de gens considéreraient que la "Brookings" est une solide organisation libérale (au sens américain de "progressiste", ndt) dont les ténors et les chercheurs sont entendus sur NPR.
FAIR pourrait également s'interroger, comme certains auditeurs l'ont fait, si le débat hebdomadaire gauche-droite de l'émission
All Things Considered, avec E.J. Dionne et David Brooks,
oppose bien un "vrai" libéral à un conservateur.
Mais, si j'en crois mon expérience, les institutions conservatrices n'ont pas tendance à voiler leurs opinions. C'est peut-être moins vrai des libéraux et de leurs institutions, mais peut-être parce qu'un conservatisme plus agressif et militant les poussent à la défensive.
Par exemple, la "Brookings" évite de se définir en termes de droite et de gauche. Elle préfère mettre en avant ses "racines" réformistes datant du début du vingtième siècle.
L'"Heritage Foundation", à l'opposé, est claire quant à ses racines et à son idéologie conservatrices.
Certains think tanks ne se laissent pas facilement cataloguer à gauche ou à droite. Le "Council on Foreign Relations" a des représentants conservateurs et libéraux. Ainsi, d'ailleurs, que le "Center for Strategic and International Studies".
Mon étude a montré que NPR a interviewé 33 experts provenant de think tanks et que 4 d'entre eux seulement provenaient de think tanks explicitement conservateurs. Trois venaient de think tanks de réputation libérale - même s'ils ne se décrivent pas tels. La majorité des experts et autres interviewés ne se prête pas à une étiquette ou un raccourci politique.
Moins d'experts et plus de profs
Ensuite, l'étude de FAIR ne porte que sur les experts. Mon étude examine aussi les autres interviewés. Il se trouve que NPR a interviewé plus de professeurs que d'experts de think tank. Bien que l'université ne soit, selon moi, pas dépourvue d'idéologie, cela montre que NPR ne se fie pas uniquement aux suspects habituels de Washington DC. De nombreux critiques de droite accusent Daniel Schorr d'être le "commentateur libéral à demeure à la NPR". Dan récuserait une telle appellation et la NPR ne la mentionne jamais.
Troisièmement, le timing du rapport de FAIR ne tient pas compte de ce qui se passe ailleurs dans les infos. Juin 2003, c'était un mois après que la Maison Blanche ait proclamé la fin des combats majeurs en Irak. Il y a avait une atmosphère de triomphalisme dans l'administration Bush et la présence de conservateurs de grande envergure dominait les infos. Ce n'était probablement pas une période où beaucoup d'opinions de l'opposition se sont fait entendre depuis les comités démocrates. Cela peut montrer du doigt la nécessité pour NPR de chercher ces opinions même quand les Démocrates conservent un profil bas dans les médias.
Il est important que les auditeurs de NPR entendent des politiciens et des penseurs conservateurs. Comme le rédacteur Ken Rudin me l'expliqua un jour, l'arrivée d'une majorité républicaine au Congrès en 1994 pour la première fois en 40 ans, fut un choc pour la majorité des entreprises de presse de Washington DC, NPR y compris. Il y avait si longtemps que les Républicains n'avaient joué un rôle que les journalistes ne savaient qui approcher au sein des comités républicains. Et sans doute leurs lecteurs, auditeurs et leurs téléspectateurs non plus.
NPR ignore-t-elle actuellement les Démocrates comme elle ignora autrefois les Républicains ?
Par le passé, j'ai critiqué NPR parce qu'elle s'appuyait sur quelques hommes brillants (et parmi eux, une écrasante majorité d'hommes). Je crois que NPR introduit plus de conservateurs qu'avant à la radio. C'est une bonne chose, compte tenu de l'équilibre que cela maintient.
Fast-food intellectuel ?
Les auditeurs sont prompts à se ruer sur leur messagerie quand ils entendent une opinion qui n'est pas la leur. Le rôle de NPR, à mon sens, n'est pas de leur livre du "fast-food intellectuel".
FAIR s'inquiète quand le pendule s'écarte trop de son axe. Et c'est aussi mon souci.
Il est possible que c'ait été le cas et NPR a besoin de mieux travailler en général et en particulier lors d'une année d'élection, afin de s'assurer que le choix est à la fois large et profond.
En même temps, l'étude de FAIR semble renforcer la conviction que le journalisme centriste en Amérique devient rapidement une espèce en voie d'extinction. Pour la gauche, NPR est trop à droite. Pour la droite, NPR reste un modèle de biais libéral.
NPR est elle-même un bastion du journalisme équitable (fair). Mais peu de critiques des médias peuvent l'accepter.
Une radio alternative ou un organe de presse de l'intelligentsia dominante ?
Le rapport de FAIR cite, compare et oppose deux présidents de NPR. En 1993 Delano Lewis disait : "Notre boulot est d'être une station de radio publique. Donc, les points de vue alternatif, tous les courants d'opinion, devraient être émis". En 2002 Kevin Klose disait : "Nous croyons tous que notre objectif est de servir toute la démocratie, le pays tout entier."
Pourquoi FAIR perçoit-elle ces deux objectifs louables comme mutuellement exclusifs ?
Les auditeurs peuvent me joindre au 202-513-3245 ou sur ombudsman@npr.org.
Jeffrey Dvorkin
Ombudsman de NPR
Pour la page "Brookings Institution" :
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Pour la page "Heritage Foundation" :
cliquez ici.
(1) "Web Extra" est la version on-line du magazine publié par FAIR. FAIR est une organisation indépendante qui ne vit que de ses abonnements au magazine et des contributions de ses donateurs. Elle n'appartient ni n'entretient aucun lien avec quelque entreprise d'information que ce soit.