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Chez les amis
Aux origines de l'art
--> Emmanuel Anati nous convie à un extraordinaire voyage dans le temps et l'espace
Ce ne sont pas moins de 50.000 ans d'art préhistorique et tribal qu'Emmanuel Anati nous promet dans cet ouvrage publié fin de l'année dernière par les éditions Fayard.

Les chiffres donnent le vertige : 45 millions de peintures et gravures rupestres à travers le monde, 100.000 statuettes et objets d'art mobilier (1) le tout réparti dans 70.000 sites dispersés sur les cinq continents...

Mais, ce qui est le plus vertigineux dans ce livre, c'est l'impressionnante érudition d'Emmanuel Anati, considéré comme le meilleur connaisseur de l'art préhistorique et tribal au monde.

L'ouvrage s'ouvre sur la redécouverte de l'art des origines et sur son importance pour les sociétés post-modernes, dont l'histoire ne couvre qu'environ 5000 ans, depuis l'apparition de l'écriture à Sumer, alors que nous venons de bien plus loin et que nos ancêtres nous ont légué un patrimoine inestimable sur nous-mêmes et nos racines les plus profondes.

Alors que nos cousins primates les plus proches - chimpanzés et bonobos - ont développé des structures sociales complexes, aucun d'eux, jamais, n'a pu faire la preuve d'un concept s'approchant un tant soi peu de l'art, de l'esthétique, du goût du beau...

Cette quête de la beauté est l'apanage de l'homme et de l'homme seul.

Mais, les éléments conservés et retrouvés ne représentent qu'une infime minorité des artefacts humains, bénéficiant de conditions climatologiques exceptionnelles (généralement chaud et sec ou, au contraire, gelé comme ce mammouth découvert il y a quelques jours) ou de sous-sol particulièrement propice à la conservation (comme ces tourbières dans lesquelles ont été retrouvés des cadavres quasi-intacts après des siècles de repos).

L'évolution de la technologie (techniques de datation, tribologie ou science des frottements, utilisations diverses des lasers, etc.) apporte évidemment des données dont nos prédécesseurs n'auraient même pas rêvé.

Pour autant, les théories sont loin de faire l'unanimité : Anati penche pour une grammaire unique, parallèle sans doute à un langage initial unique. On sait que d'autres chercheurs, comme le linguiste français Claude Hagège, par exemple, se positionnent en faveur d'une origine unique de la faculté de langage, mais d'éclosions multiples à des époques et des lieux différents, des langues humaines proprement dites. (2)

Cette syntaxe unique dans les arts paléolithiques s'est différenciée à mesure que les groupes humains s'éloignaient les uns des autres et rompaient les contacts qui les avaient maintenus si proches pendant des millénaires.

Anati se livre à un inventaire de l'art préhistorique et tribal des cinq continents et se montre très convaincant quant à cette syntaxe universelle initiale que l'on retrouve aussi bien en Australie qu'en Afrique ou dans le Sud de la France... Il montre également la longue et profonde continuité
qui lie l'art préhistorique à l'art tribal survivant aujourd'hui.

Il différencie les différentes conceptions de l'art selon la structure de la société : cueilleurs, chasseurs archaïques, chasseurs évolués, sociétés agro-pastorales et sociétés d'économie complexe.

Il fait également ressortir le rythme d'évolution propre à chaque société et son génie inventif. Il nous déchiffre également les combinaisons complexes de dessins, d'idéogrammes et de psychogrammes (3) que nous ont légués nos ancêtres, combinatoire loin de la pensée fruste et primitive dont des générations de savants ont doté les populations préhistoriques.

Il nous prouve aussi combien en délimitant une coupure entre art préhistorique et art tribal, les spécialistes se sont privés d'outils essentiels à la compréhension de l'un et de l'autre.

Ce que nous livre Anati dans cet ouvrage aussi vaste qu'original, c'est tout simplement un trousseau de clés pour comprendre quels processus cognitifs, émotionnels, esthétiques... sont à l'oeuvre dans l'art et ce, depuis les origines.

Au sortir de ce livre, vous ne verrez plus jamais l'homme préhistorique ou tribal de la même manière...

Emmanuel Anati, Aux origines de l'art : 50.000 ans d'art préhistorique et tribal, Préface de Yves Coppens, Paris, Fayard, 2003, 507 p.


(1) Les objets d'art mobilier sont des objets transportables tels des arcs, des propulseurs à javelot, des colliers, bracelets, etc. Ils se distinguent des statuettes qui n'ont, a priori, aucun rôle utilitaire.

(2) Claude Hagège, L'homme de paroles : Contribution linguistique aux sciences humaines, Paris, Gallimard, 1998, (Folio. Essais ; 49), 406 p. (en particulier, le premier chapitre intitulé : Unicité de l'espèce, pluralité des langues).

(3) Représentations graphiques d'émotions, de ressentis.

Ecrit par Marco-Bertolini, à 16:04 dans la rubrique "Lire libre".

Commentaires :

  Visiteur
15-03-07
à 01:25

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