De la fureur des Vikings délivrez-nous, Seigneur !
Cette prière a été celle d'une bonne part des peuples chrétiens si l'on en croit les divers chroniqueurs qui nous ont rapporté les faits et gestes des envahisseurs du Nord.
Mais, le moins que l'on puisse dire, c'est que ces chroniques étaient pour le moins partielles et partiales. Ces démons, ces barbares, ce sont des historiens chrétiens qui nous les dépeignent. Et s'ils nous les décrivent avec tant de hargne et de crainte, c'est que les Vikings adoraient des dieux païens, des déités aux noms étranges et à l'aspect rude des peuplades nordiques... Thor, Odin, Freya et tout un panthéon d'animaux tels serpents et dragons, un arbre de vie dont les racines plongent dans les profonceurs d'un enfer pire que celui de la Bible : Yigdrasil...
Ces géants blonds étaient-ils pour autant des enfants de choeur ? Certainement pas. Mais des découvertes archéologiques récentes nous prouvent que, loin d'être tous des guerriers intrépides et des marins chevronnés, la majorité d'entre eux étaient de paisibles agriculteurs et des éleveurs de rennes, de boeufs et de moutons.
Quant à la férocité de leurs élites guerrières, il faut la replacer dans l'histoire de la chevalerie médiévale qui n'a rien à leur envier en matière d'effusion de sang et de valorisation de la bravoure.
Ils ne formaient pas non plus une population homogène, aux traits culturels uniformes : la géographie de la Scandinavie, toute en côtes découpées et en fjords profonds - jusqu'à 150 km à l'intérieur des terres - isolait et opposait des petites communautés dispersées au caprices des lacs et des montagnes...
Ce n'est que lors de la conversion au christianisme du Roi Harald "à la dent bleue", souverain du Danemark, qu'un premier effort de centralisation s'est manifesté et qu'une certaine unité culturelle s'est imposée.
Les Sagas, écrites entre le Xe et le XIVe siècles, magnifient des exploits guerriers et des divinités déjà archaïques au moment de leur rédaction, même si les noms de lieux et de personnes sont souvent confirmés par les découvertes archéologiques... Quant aux relations des étrangers, telle celle de Saxo Grammaticus, elles sont truffées d'erreurs et de préjugés tels qu'il est difficile de s'y fier. Mieux vaut interroger les données archéologiques.
Celles-ci nous décrivent des populations évoluées, dévolues au commerce et à l'agriculture, avides de découvertes - les Vikings ont découvert l'Amérique 400 ans avant Christophe Colomb et se sont établis pour 20 ans dans l'Anse aux Meadows, au Nord de Terre-Neuve ; ils ont également formé la garde personnelle de plusieurs empereurs byzantins ; ils ont donné son nom au peuple russe, rus signifiant "daim" dans leur langue et le pays des Russes en était particulièrement riche... Ce sont d'ailleurs des princes vikings qui ont fondé Kiev et Novgorod, bases de leurs raids répétés contre Bizance.
Leurs bateaux - les célèbres drakkars (en réalité drekki) mais aussi les Knörr (bateaux marchands plus larges que les précédents) - les fameux long ships des récits saxons, leur ont assuré une supériorité navale pendant au moins deux siècles : leur quille d'une seule pièce, leurs coque à clins (planches se recouvrant partiellement comme des tuiles), leurs membrures (structures internes) fixées par des cordes de cuir aux bordés (planches horizontales reliant la proue et la poupe) leur conférait une légèreté et une souplesse incomparables. Leur faible tirant d'eau leur permettait tant la navigation intérieure que le cabotage et la course en droiture, bien avant les galères méditerranéennes ou les galéasses anglaises.
Leur commerce avec des populations aussi éloignées que celles de Bagdad, de Kiev ou d'Irlande leur ont fait découvrir les richesses d'un monde insoupçonné à l'époque et leur propre art des métaux ou des constructions de bois en fait une culture aux antipodes des caricatures plus ou moins anciennes (les casques à cornes, par exemple, n'ont jamais existé) véhiculées tant par les chroniques médiévales que par la bande dessinée.
Les Vikings, Cahiers de Sciences et Vie, Avril 2004.
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