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Passions de femmes au temps de la Reine Margot


L'historien Robert Muchembled nous avait jusque-là habitués à des plongées fantastiques au cœur de la sorcellerie et des procès spectaculaires que la simple suspicion de contact avec le diable avait engendrés.  Ses deux livres précédents traitaient d'ailleurs du diable. (1)

Mais il s'est souvent aventuré sur les sentiers qui mènent à la modernité à travers l'étude des cultures d'élite et populaire, de la paysannerie et de l'invention de l'homme moderne.

Aujourd'hui, c'est dans son cher âge des tragiques et des baroques, à la charnière entre  les 16e et 17e siècles, qu'il nous entraîne, pour une introspection quasi-poétique des passions de femmes.

C'est que, pour aborder ce sujet neuf, Robert Muchembled a troqué le récit de l'historien, ponctué de références et citations nombreuses, pour le style flamboyant et ininterrompu du chroniqueur.   Certes, le professionnel de la recherche historique ne renonce par totalement aux renvois : ceux-ci sont relégués en fin de volume, sans appel de note, mais avec des conseils de lecture et des commentaires précieux pour le lecteur qui veut " aller plus loin ".

Ces courts récits sont issus de chroniques judiciaires, d'extraits d'enquêtes et de jugements du Parlement de Paris, cour d'appel des juridictions régionales.  Ceci donne un relief particulier à ces vies - souvent banales au demeurant - bousculées, bouleversées, dramatisées par les tragédies (réelles ou imaginaires) que rencontrèrent ces femmes de tous âges, de toutes conditions.

" A l'instar des mémoires ou de l'autobiographie, le procès criminel implique une véritable promotion de la conscience de soi.  Sous le scalpel des représentants de l'ordre, la fracture révélée par le délit aboutit nécessairement à une tentative de recomposition de la personnalité mise à l'épreuve.  Celle-ci se trouve contrainte de se théâtraliser, de révéler toute sa densité humaine, pour tenter d'échapper au châtiment ". (2)

De fait, au travers de ces histoires tragiques, c'est la personnalité et l'intimité des femmes arrêtées, torturées, exécutées parfois, que le lecteur perçoit avec une douloureuse actualité.

Pourquoi des passions exclusivement féminines ?  Parce que, pour la morale et la médecine du temps, la femme est l'être fragile et pervers par excellence, parce qu'elle est une " éternelle mineure ", incapable de se raisonner et de se gouverner seule, parce que son sexe perpétuellement ouvert est une provocation, une tentation permanente qu'on ne saurait laisser sans garde.  

La nature de la femme - froide, molle humide - est en permanence opposée à celle de l'homme - chaude, sèche et dure.  Étant issue d'une cote d'Adam, elle ne possède pas d'âme si l'on en croit certains théologiens...

Le contrat de mariage reflète profondément cette inégalité supposée : c'est l'homme, principe positif, qui tranche, décide, administre les biens du ménage.

La méfiance envers les femmes souffre du même préjugé que les procès de sorcellerie : alors que dans l'imaginaire collectif, c'est le Moyen age qui fut une période d'obscurantisme religieux et de persécutions anti-hérétiques, les preuves exhumées par les historiens nous apprennent que c'est surtout à partir de la Renaissance et pendant toute la période de la Contre-Réforme que l'Église a du batailler pour éradiquer et pratiques magiques et sectes en tous genres.   

La suspicion à l'égard des femmes gagne également une amplitude nouvelle à cette époque : " La période tragique des guerres de religion fut au contraire celle du développement d'une vision masculine de plus en plus inquiète, troublée des rapports entre les mâles et les femelles. (3) " La vision de la femme à cette époque est si négative que l'on ne peut la protéger d'elle-même qu'en l'enfermant derrière les murs d'un couvent ou la placer sous la responsabilité d'un mari ou d'un père.

Robert Muchembled examine dans le premier chapitre la situation de Marguerite de Valois, épouse et sœur de rois, mais pas " reine " elle-même en raison de la discrimination à l'égard des femmes imposée par la loi salique.  Si elle fut relativement libre lors de sa jeunesse, sa maturité a été placée sous les signes de la frustration et de l'ostracisme de la part d'un époux qui la répudie en faveur d'une courtisane féconde...  Elle prendra une sorte de revanche en devenant la première femme à écrire ses mémoires, œuvre partielle et partiale dans laquelle elle s’attribue systématiquement le beau rôle.

Dans le chapitre suivant - " au malheur des dames ", antiphrase du roman de Zola - il démontre à quel point le corps de la femme ne lui appartient pas.  Le pire crime d'une femme est de " celer sa grossesse ", car on soupçonne immédiatement l'infanticide en cas de décès de l'enfant, décès accidentel ou non...  Et la peine de mort s'abat avec une violence systématique sur celle qui en est suspectée.

Les chapitres  qui suivent dépeignent la dure loi du mariage et les contraintes qui pèsent sur les femmes du temps, mais aussi les stratégies qu'elles mettent en place pour circonvenir leur condition trop dure.

Enfin, l'ultime partie du livre - " les réprouvées ", égrène les " sept commandements à l'usage des femmes " :

1. Tu ne cèleras point ta grossesse
2. Tu fuiras le péché contre nature o comment le " vice italien " gâte les filles
3. Tu refuseras l'amour d'une autre femme
4. Tu ne mêleras pas ta semence à celle des bêtes
5. Tu ne caresseras ni ton père ni ton frère
6. Au diable tu te refuseras
7. Dieu seul tu chériras

On pourrait croire, à la lecture de ce florilège, que le siècle entier s'est livré au vice et au stupre.  En fait, ces commandements, ceux qui les négligèrent et ceux qui les ont réprimés font partie d'une fraction marginale de la population.  Mais, une fraction qui agit tel un miroir grossissant et qui reflète une loi d'airain pour l'époque : votre corps ne vous appartient pas.  Il appartient au créateur et en le souillant c'est son image que vous souillez.

Une conception bien éloignée de celle qui préside à l'exhibition des corps quasi-permanente que nous offrent médias et publicité.


Robert Muchembled, Passions de femmes au temps de la Reine Margot, 1553-1615, Paris, Éditions du Seuil, 2003, 277 p.

(1) " Une histoire du Diable " et " Diable ! ", parus tout deux aux éditions du Seuil.
(2) Passions de femmes au temps de la Reine Margot, op. cit., pp. 17-18.
(3) Idem, p. 51.


Ecrit par Marco-Bertolini, à 20:01 dans la rubrique "Lire libre".

Commentaires :

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02-12-03
à 16:30

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Entre mer et maquis - Fœtus en solde : "non aux femmes ?  S'il y a homicide involontaire, y aura-t-il également des cas de légitime défense où les foetus pourront tirer sur leur mère, depuis sa matrice, pour l'empêcher de les tuer ?Derrière ce surréalisme de façade se cache la peur des mâles de ne pas (plus) contrôler la reproduction du clan, voire de l'espèce...Dans mon article sur le livre de Muchembled, Passions de femmes au temps de la Reine Margot, j'affirmais que les féministes avaient touché juste en clamant "notre ventre nous appartient".Je viens de découvrir, à travers cet amendement imbécile, que j'étais encore en-dessous de la réalité... "

  Visiteur
20-02-06
à 11:26

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Web Blog Directory - A Lot - Aggregating the PoweR of Blogs! : " dazibao : Passions de femmes au temps de la Reine Margot (Nov 04 2003 19:15 GMT) - L'historien Robert Muchembled nous avait jusque-là habitués à des plongées fantastiques au c ur de la sorcellerie et des procès spectaculaires que la simple suspicion de contact avec le diable avait engendrés. Ses deux livres précédents traitaient d'ailleurs du diable. (1) "

  Visiteur
17-07-21
à 14:52

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Entre mer et maquis - FÂœtus en solde : "S'il y a homicide involontaire, y aura-t-il également des cas de légitime défense où les foetus pourront tirer sur leur mère, depuis sa matrice, pour l'empêcher de les tuer ?Derrière ce surréalisme de façade se cache la peur des mâles de ne pas (plus) contrôler la reproduction du clan, voire de l'espèce...Dans mon article sur le livre de Muchembled, Passions de femmes au temps de la Reine Margot, j'affirmais que les féministes avaient touché juste en clamant "notre ventre nous appartient".Je viens de découvrir, à travers cet amendement imbécile, que j'étais encore en-dessous de la réalité... "



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