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L'esclavage aux États-Unis (1)
--> Les Origines

La société américaine est née dans la violence. Violence des éléments, tout d'abord, qui se sont déchaînés très tôt contre les premiers colons installés en Virginie ou en Nouvelle-Angleterre. A tel point, que les deux premières colonies ont bien failli, et ce à plusieurs reprises, succomber à la famine ou aux maladies.

Violence contre les Indiens ensuite, dont l'extermination systématique a constitué un des premiers génocides des temps modernes. D'un effectif estimé de 7 à 8 millions d'individus aux temps de la " découverte ", il n'en subsiste plus que 400.000 au tournant des 19e-20e siècles, pour environ 75 millions de colons blancs... C'est-à-dire que 95 % de la population ont disparu entre-temps, victime de guerres, de déportations, de maladies importées telle la variole ou de politique d'extermination par la faim, des dizaines de millions de bisons ayant été abattus afin d'affamer les tribus réfractaires à l'assimilation ! Des photos de la fin du 19e siècle nous montrent des blancs juchés sur des montagnes de peaux ou d'ossements auprès desquelles les monceaux de cadavres bovins abattus au pire de la crise de la vache folle font figure de tumulus ridicules...(1)

Violence contre les noirs, enfin, déportés d'Afrique d'abord, de Cuba et des Antilles ensuite, dont le nombre avoisine les dix millions dans les estimations les plus optimistes.

Mais l'esclavage américain pose une série de questions, qui sont loin d'être toutes résolues.

La première question est celle de la date de départ de cet esclavage. En effet, c'est plutôt tardivement que les Africains ont remplacé les Indiens dans cette portion du continent américain, car les Britanniques sont partis à la conquête du nouveau monde bien après les Portugais et les Espagnols, pour ne citer que les plus importants des colonisateurs de l'époque. Alors que Colomb aborde Hispaniola en 1492, ce n'est qu'en 1608 qu'est fondée la ville de Jamestown en Virginie et en 1620 que le Mayflower rejoint Cape Cod, première bande de terre de ce qui deviendra la Nouvelle-Angleterre (2).

A cette époque, d'autres solutions sont trouvées pour remplacer une main d'œuvre indigène indisponible : celles des " convicts " et des " travailleurs sous contrat ". Les conditions de vie dans les premières colonies américaines qu'il y a peu d'espoir d'y attirer des Européens de bonne extraction. Il faut donc suppléer à cette carence en important des " convicts ", c'est-à-dire des gens condamnés à des peines de droit commun et à qui on proposait d'échapper à la captivité en immigrant vers des terres décrites comme riches et prospères.

L'autre vivier de migrant était celui des " indentures workers ". Ces " indentures " étaient des terres appartenant à de riches propriétaires anglais qui n'y vivaient d'ailleurs pas pour la majorité d'entre eux et sur lesquelles de pauvres hères végétaient contre une rémunération misérable. L'Irlande a également souffert de la rapacité de ces " landlords " anglais pour qui une vie humaine ne valait pas un acre de terre.

Mais, très vite, ces deux solutions s'avèrent largement insuffisantes. Dans le dernier quart du 17e siècle, une mortalité élevée avait décimé ces travailleurs sous contrat et les esclaves noirs commencent à les remplacer, en particulier dans le sud : vers 1680, on en recense environ 3.000 en Virginie et 1.600 dans le Maryland (3). C'est surtout après 1689 que la traite s'intensifie et que les Anglais, supplantant les Hollandais sur l'ensemble des territoires de l'Amérique, importent les Noirs en quantités croissantes. " En Virginie, leur nombre triple dans les vingt années qui suivent, pour atteindre 10.000 vers 1700, et, au Maryland, il double en dépassant les 3.000. [...] A l'aube du XVIIIe siècle, on peut estimer à près de 20.000 le total des Noirs transplantés dans les colonies britanniques d'Amérique. (4) [...] Le XVIIIe siècle est à lui seul responsable des deux tiers de la traite atlantique. C'est aussi le moment où la conscience européenne s'éveille à ce fléau. (5) "

C'est surtout les plantations de tabac qui, dans les États du Sud, assurent la richesse des colons, le sucre et le maïs ne s'acclimatant pas sur ces terres ingrates. Et le tabac est une plante terriblement exigeante, nécessitant des soins constants tout au long de l'année. A la fin de l'hiver, il fallait préparer la terre pour les semis. Les plants étaient repiqués en mai sur des terres ameublies. Cette culture nécessitait aussi un long travail de désherbage et de lutte contre les nombreux insectes prédateurs. La récolte s'opérait en août, les feuilles étant mises à sécher pendant six semaines, à la suite de quoi elles étaient emballées et expédiées, la majeure partie de ce tabac étant destiné à l'exportation.

Mais le tabac n'était pas épuisant que pour la main d'œuvre : le sol s'appauvrissait à une vitesse effarante et les planteurs se voyaient contraints de défricher et de cultiver de nouvelles parcelles.

Partie de la côte est, la culture du tabac s'étendait inexorablement vers l'Ouest, demandant chaque année davantage d'esclaves pour contrebalancer la chute des prix qui s'amorça dès le début du 18e siècle pour ne jamais s'arrêter.

Claude Fohlen montre bien le lien entre la croissance de cette production et celle de la traite des Noirs (6).

ESCLAVAGE ET TABAC DANS LES COLONIES BRITANNIQUES D'AMÉRIQUE

AnnéeNombre d'esclavesExports de tabacs (en livres)
1630

60

36.000

1650

1.600


1670

4.535

9.000.000

1690

16.730

12.600.000

1700

27.800

37.840.000

Ceci entraîna les planteurs dans un cercle vicieux : la chute des prix les forçait à cultiver d'avantage et donc à importer toujours plus d'esclaves pour cultiver davantage sur des surfaces de plus en plus étendues...

Le 18e siècle verra la culture du tabac complétée par celle du riz, produit importé qui nécessite lui aussi des soins constants et une main d'œuvre nombreuse.

Ainsi, deux types opposés de sociétés se sont constitués en parallèle au Nord et au Sud de la ligne Mason-Dixon. (7) L'une, au Nord, s'urbanise chaque jour davantage et développe une économie de type libéral, résolument capitaliste, alors que l'autre, au Sud, s'enracine dans une structure rurale dominée par une aristocratie plus préoccupée par une économie de prestige que par l'investissement dans des moyens de production et/ou d'accumulation, et qui règne sans partage sur une population asservie de plus en plus nombreuse. Au 19e siècle, le cinquième de la population des États du Deep South (8) est esclave !

A suivre…

La vérité sur l'esclavage : ici.
Le livre noir du colonialisme : ici.
La Vénus hottentote : ici.

1 Sur la vision puritaine des Indiens et l'extermination systématique qu'ils conduisirent dès le premier siècle de la colonisation, voir le magnifique ouvrage de Cassuto, Leonard, The Inhuman Race : The Racial Grotesque in American Literature and Culture,New York, Columbia University Press, 1996, XIX p., 289 p., pp. [30]-74.

2 Brogan, Hugh, The Longman History of the United States of America, second edition, London and New York, Longman, 1999, 737 p., pp. 19-50. J'aurai l'occasion de revenir sur ce livre et ce qui y est dit de l'esclavage au cours de cet article.

3 Fohlen, Claude, Histoire de l'esclavage aux Etats-Unis, Paris, Librairie Académique Perrin, 1998, 342 p., p. 45. J'utiliserai bon nombre de chiffres de cet ouvrage, un des rares en français qui étudient l'histoire de l'esclavage depuis l'origine jusqu'après l'abolition.

4 Idem, p. 46.

5 Idem, p. 51. Le lecteur appréciera la possibilité qu'un siècle puisse être responsable d'une action humaine... Le livre de Claude Fohlen fourmille d'annotations qui trahissent un malaise face à cette réalité de l'esclavage. Tantôt, il met l'accent sur les conditions intolérables de l'esclavage, tantôt, il trouve des excuses ou des atténuations à la culpabilité des colons blancs. C'est également une constante du livre de Hugh Brogan.

6 Idem, p. 59.

7 Du nom de deux géomètres qui ont réglé en 1769 un problème de bornage entre Pennsylvanie et Maryland. La ligne de séparation entre états esclavagistes et abolitionnistes prolonge cette limite à l'Ouest.

8 Le Deep South (ou Sud Profond) est constitué des 8 États suivants : Alabama, Arkansas, Caroline du Sud, Floride, Géorgie, Louisiane, Mississippi et Texas. Alors que l'Old South (Vieux Sud ou Sud Historique) se compose des 7 États suivants : Caroline du Nord, Delaware, Kentucky, Maryland, Missouri, Tennessee, Virginie et le district de Columbia.

Ecrit par Marco-Bertolini, à 18:44 dans la rubrique "Histoire".

Commentaires :

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02-02-05
à 20:37

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28-02-05
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