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Non, vous ne vous êtes pas trompés et le titre de ce livre n'est pas un simple jeu de mots : depuis le début du dix-neuvième siècle (avec Sarah Baartman dont j'ai parlé dans un de mes derniers articles) jusqu'après la seconde guerre mondiale, des humains ont été promenés, exhibés, encagés, humiliés et exploités par des entrepreneurs sans scrupules.
Le phénomène du zoo tel que nous le connaissons encore est d'ailleurs contemporain de celui des ces phénomènes : c'est au début de la révolution industrielle, quand l'occidental moyen a perdu le contact avec la "nature" et s'est retrouvé enfermé dans des villes de plus en plus éloignées de la vie rurale qui était celle du commun des mortels jusqu'en 1851 (année où en Angleterre, pour la première fois au monde, plus de gens vivaient en ville qu'à la campagne) que ces attractions sont apparues.
Il peut être curieux de se dire que des humains ont pu être montrés de la même manière que les animaux. Mais cette notion doit être révisée.
Saartje Baartman était une Hottentote, c'est-à-dire l'être placé au rang le plus bas dans la hiérarchie de l'humanité en vogue à l'époque (encore que les Hottentots le disputaient aux Aborigènes d'Australie), les autres peuples africains bénéficiant d'une meilleure appréciation, les Asiatiques et les Indiens jugés à peine inférieurs et sur la voie de la civilisation.
Joice Heth, l'Afro-Américaine exhibée par P.T. Barnum, était une ancienne esclave, dans l'Amérique qui, moins de trente ans plus tard, allait se déchirer dans une guerre atroce (peu de choses à voir avec "Autant en emporte le vent !) sur la question de l'esclavage et de la concurrence que des travailleurs noirs libres représenteraient pour les travailleurs blancs du Sud...
Les Igorots (minorité noire des Philippines), les Kanaques, les Ashantis qui ont été présentés à la Foire de Saint-Louis en 1904 ou au Jardin des Plantes en 1914 l'étaient dans un milieu reconstitué (un village "typique") comme celui des tigres ou des éléphants.
La mise en scène des entrepreneurs de spectacles accentuait le côté exotique (la "Vénus" Hottentote, les Ashantis cannibales, les Kanaques féroces) ou la bizarrerie de certains handicapés (comme ces deux microcéphales présentés comme un couple maya ayant survécu à la colonisation espagnole).
Les "aboyeurs" attiraient un public nombreux dans ces cirques ou musées qui faisaient se cotoyer dans une proximité inacceptable aujourd'hui des ours bruns, des handicapés physiques et des Africains qui dans certains spectacles américains - le "Black Minstrelsy" - étaient des blancs grimés en nègres, parce qu'il était tout simplement inconcevable pour un blanc du Sud profond d'assister à un spectacle dont la vedette était noire...
Ce livre nous conte à quel point ces activités sont devenues lucratives au fil du temps, comment des entrepreneurs se sont enrichis d'une façon éhontée - Barnum est le plus célèbre, mais la firme allemande Hagenbeck se faisait forte de vous livrer aussi bien une hyène africaine qu'un chasseur Inuit... Comment certains de ces spectacles ont été les précurseurs de notre culture de masse (la confrontation avec certains reality shows est troublante).
Il éclaire aussi de façon très convaincante à quel point ces clichés véhiculés à longueurs de spectacles itinérants ou d'expositions exceptionnelles dans les zoos traditionnels, avec l'aval des "scientifiques" du temps, ont façonné le regard de l'occidental sur les autres cultures et combien ces aliénations de l'autre ont justifié et légitimé l'expansion coloniale...
Cet ouvrage souffre malheureusement d'un handicap inhérent au genre de l'essai collectif : les auteurs se répètent parfois à quelques pages d'intervalles, sur le même sujet ou, au contraire, se contredisent parfois...
La variété des points de vue (et des origines des auteurs), la richesse de la bibliographie en font un ouvrage francophone incontournable en la matière.
Zoos humains : de la vénus hottentote aux reality shows, sous la direction de Nicolas Bancel et al., Paris, Editions La Découverte (Textes à l'appui. Histoire contemporaine), 479 p.
Commentaires :
ImpasseSud |
J'avais déjà entendu parler de cette pratique, mais je n'en soupçonnais absolument pas l’ampleur. Les siècles passent, mais c'est toujours le même genre de spectacle qui attire les foules. Dans ce film, il y a quelques lenteurs, probablement voulues, et les paysages sont magnifiques. L'as-tu déjà vu? |
Marco-Bertolini 08-10-03
à 19:28 |
Re:Non, je n'ai pas vu le film, mais je connais l'histoire de Grey Owl. Un phénomène qui est peu connu dans le monde francophone est celui des Blancs adoptés par les Indiens, soit des enfants recueillis après la mort de leurs parents, soit des prisonniers (tous n'ont pas eu cette chance, les méthodes de torture indienne n'ayant rien à envier à celles des Chinois). Ces Blancs étaient généralement si bien traités qu'ils refusaient de revenir à la "civilisation" ou bien regrettaient leur séjour dans les tribus... Ce fait a donné lieu à pas mal de récits mais qui ont été souvent censurés, notamment par les Puritains de Nouvelle-Angleterre dont ces récits desservaient la propagande raciste... Un livre magnifique, malheureusement non traduit en français, raconte comment la littérature américaine a stigmatisé aussi bien les Indiens que les Noirs, considérés comme des sauvages au mieux "apprivoisables", au pire irrécupérables. Cette littérature a évidemment amplifié et légitimé les usages barbares tels le lynchage. Même des livres comme la "Case de l'Oncle Tom", dont l'auteure, Harriet Beacher Stowe était favorable à l'abolition de l'esclavage, débordent de bons sentiments et de réflexes paternalistes. Il y a pourtant une exception de taille à cette littérature blanche (la littérature noire, notamment celle des esclaves évadés ou affranchis vaudrait plusieurs volumes à elle toute seule) : Herman Melville. Dans des livres comme Moby Dick, Benito Cereno ou dans Typee, il analyse avec une avance considérable sur l'anthropologie actuelle, les relations difficiles entre les cultures et la répugnance que certains rites inspirent aux blancs de bonne volonté (celle du tatouage de la face dans Typee est dépeinte avec une maestria et une qualité d'introspection qui annonce déjà Freud et cela au tout début du dix-neuvième siècle...). Le bouquin en question est de Leonardo Cassuto et s'intitule Inhuman Race : the racial Grotesque in American Literature and Culture, New York, Columbia University Press, 1997, 289 p. L'auteur partage son temps de professeur entre les Etats-Unis et la Tanzanie : ceci explique peut-être cela... |
à 09:33